La magie du Comté
Cette semaine nous avons fait notre deuxième et malheureusement déjà dernier voyage de formation. Nous sommes partis dans le Jura. Comme c'est le département à côté de chez mes parents ce n'était pas pour moi un grand dépaysement. Et bien pourtant je reviens avec des étoiles pleins les yeux.
Nous avons visité deux affineurs de Comté : Marcel Petite au Fort Saint Antoine et Arnault au Fort des Rousses plus connu sous le nom de Juraflore.
Ces lieus sont vraiment fabuleux! Ces anciens forts militaires en grande partie enterrés dans la montagne ont été rachetés et aménagés en cave accueillant chacune à peu près 100 000 meules. C'est un peu le coffre de la banque de France des fromagers. Quand on y pénètre on est d'abord étonnés par l'atmosphère lourde en ammoniaque qui pique un peu le nez et les yeux. Il y fait frais et très humide. De l'eau est laissée au sol pour alimenter l'hygrométrie du lieu.
Des couloirs à n'en plus finir s'étalent sous terre. Les hauteurs de plafond sont impressionnantes. On pourrait se croire dans une église. C'est tellement beau qu'on rêverait d'y installer une table pour un dîner aux chandelles hors du temps.
Mais rien ne parle mieux que des images même si elles ne peuvent retranscrire l'émotion que l'on ressent en voyant comme l'homme est capable de belles choses. Si seulement il pouvait y concentrer son énergie.
L'ingénuosité est aussi impressionnante! Les meules qui prennent toutes leurs saveurs dans ces forts idéaux car peu sensibles aux variations de températures extérieures doivent être bichonnées : retournées, salées, frottés, surveillées. On imagine l'ampleur de la tâche quand tout cela était fait à la main! Aujourd'hui un robot arpente les allées. Il peut monter jusqu'en haut des colonnes. Grâce à un laser il repère la planche en épicéa sur lequel repose la meule, il va délicatement saisir le comté, le saler, le frotter, le retourner et recommencer avant de le ramener à sa place.
Mais l'homme reste au cœur du processus d'affinage. Le maître de cave, armé de son petit marteau-sonde écoute les meules, les effleure, les goute pour définir celle qui aura le potentiel d'être vieillie tel un grand vin. Il marque de ses signes que lui seul peut comprendre et interpréter les comtés afin de leur prodiguer les soins nécessaires. Celui de chez Marcel Petite est un vrai poète et parle du fromage comme d'une femme qui sait l'émouvoir et qu'il comprend. Il semble sur sa planète, une planète en forme de meule de comté aux arômes fruités.
C'est vrai que certaines meules restent presque 3 ans dans les forts. Cela laisse du temps pour créer une relation privilégiée.
Nous avons également assisté à la fabrication du Comté de manière traditionnelle. A Thoiria Sylvain est le seul qui perpétue encore ce savoir.
Dans son petit atelier au coeur du village il fait découvrir aux visiteurs les étapes de la fabrication de ce fromage tant apprécié.
Dans sa grande cuve en cuivre il met le lait récolté dans différentes fermes à maximum 25 km à la ronde. Le comté a cette spécificité dans son cahier des charges : il ne peut être produit qu'à partir du lait de plusieurs troupeaux.
Il verse un peu de présure et il ne reste plus qu'à attendre une trentaine de minutes que le lait coagule.
Il tranche ensuite le résultat obtenu et le brasse jusqu'à obtenir des petits grains de caillé de la taille d'un grain de blé. Plus on veut avoir un résultat final de fromage sec plus les grains doivent être petits afin de conserver le moins d'humidité possible dans la pâte. Pour un camembert par exemple où on veut un fromage souple et onctueux la démarche sera toute autre.
La cuve avec les grains de caillé et le lactosérum qui s'en est échappé est ensuite chauffée au feu de bois à une température de 55°. C'est pour cela que l'on parle d'une pâte cuite.
Il faut ensuite récupérer le caillé et le séparer du lactosérum, étape dans la méthode traditionnelle très technique. A l'aide d'un grand linge et d'une baguette flexible notre fromager plonge les bras dans la cuve pour récupérer l'ensemble de ce qui va former la pâte du fromage.
Le moment du moulage arrive ensuite ainsi que celui du pressage. On a donc un fromage de la famille des pâte pressée cuite. Il ne reste plus qu'à l'identifier en apposant sur la pâte une pastille de caséine verte avec un numéro qui identifie l'atelier de fabrication, l'année, le mois et le jour de fabrication.
La fin de la formation approche à grand pas! La nostalgie commence à nous gagner, en tout cas à me gagner. Quelle année fabuleuse cela aura été. Quelle décision parfaite j'ai prise.